Entre Ciel et Terre, un aperçu de la pensée taoïste
La Vie est mouvement, changement et évolution, telle une danse, à la fois joyeuse et éprouvante, dans laquelle l’être humain cherche à exprimer la voie du milieu entre les contraintes de la société et l’appel de son âme.
Pour la pensée taoïste, dont le père fondateur est Tchouang Tseu (entre 369 et 280 avant J.C.), l’homme est en recherche d’équilibre constamment entre les nécessités de la vie quotidienne et son projet d’existence (ou projet d’âme). L’être humain est ainsi placé entre les contraintes de la Terre et les intentions du Ciel. C’est de cette manière que Tchouang Tseu résumait une incarnation terrestre :
« Rester fidèle à soi-même tout en s’adaptant au monde extérieur »
Pour aller plus loin dans la compréhension de la pensée chinoise je vous conseille très vivement de lire l’ouvrage de Yu Dan : « Le bonheur selon Tchouang Tseu ».
Comme l’auteur le précise elle-même, « nous sommes tous dotés d’une individualité, mais nous évoluons également tous à l’intérieur d’une collectivité. Tchouang Tseu considère que chacun doit pouvoir rester fidèle à son tempérament, ne pas se laisser emporter au gré des vagues et des courants. Ce qui signifie que, face aux circonstances extérieures, notre cœur doit pouvoir faire preuve d’ouverture et d’adaptabilité. Une question demeure : comment s’adapter tout en restant fidèle à soi-même ? »
Tchouang Tseu donne la réponse à cette question : « ne pas se transformer intérieurement » et nous explique que notre cœur ne doit en rien se laisser influencer par les mutations du monde extérieur, il doit encore et toujours rester fidèle à lui-même. La transformation extérieure qu’il propose, c’est celle qui consiste à rester ouvert dans ses interactions avec autrui, à adapter son comportement à la société dans laquelle on vit.
Un peu plus loin, Yu Dan écrit : « nous faisons aujourd’hui face un très grand dilemme : comment vivre dans un monde éternellement changeant tout en restant nous-mêmes ? Si nous ne concentrons pas notre esprit, nous nous laissons emporter au gré des vagues et des courants, et nous nous perdons nous-mêmes. Mais si nous persévérons dans notre voie, obstinés, indociles, c’est la société qui ne nous tolère pas. »
Un éclairage complémentaire nous est donné par un penseur contemporain, Osho (auteur, entre autres, du Tarot Zen) ; il précise qu’être libre c’est être rebelle :
« Un rebelle est celui qui ne réagit pas contre la société. Il observe et comprend tout le manège et décide simplement de ne pas en faire partie. Il n'est pas contre la société, il est plutôt indifférent à ce qui s'y passe. C'est la beauté de la rébellion : la liberté ! Le révolutionnaire n'est pas libre. Il est constamment en train de se battre, de lutter. Comment pourrait-il donc être libre ? Il est systématiquement en train de réagir contre quelque chose. Où est-ce que se trouve la liberté dans la réaction mécanique à des choses extérieures?
La liberté naît de la compréhension :
1. Il faut d'abord comprendre les mécanismes en jeu :
- la société empêche l'évolution de l'âme.
- le système ne vous permet pas d'être vous-même.
2. Une fois que cela est compris, vous sortez simplement du système sans même une cicatrice dans l'âme.
Le rebelle pardonne et oublie, il se contente de prendre une distance par rapport à la société, sans lien d'amour ni de haine avec elle. »
Toute la pensée orientale, qu’elle soit bouddhiste ou taoïste ou encore zen japonais, pense la vie en termes de mouvement et d’impermanence. C’est pourquoi la compréhension du changement à l’œuvre dans les événements quotidiens a fait l’objet, depuis la nuit des temps, d’une tentative de compréhension afin de pouvoir adopter le comportement adéquat qui permet de trouver le juste compromis entre les contraintes de la vie sociale (l’adaptation au monde) et le respect de soi-même. Au fil des temps cette recherche a abouti à la rédaction du fameux livre de stratégie qu’est le Yi Jing (souvent orthographié Yi King), dont l’une des significations est le Livre des Changements.
Comme le fait remarquer Cyrille Javary, grand spécialiste de ce livre : « le Yi Jing ne dit rien de la marche du destin ni de l’avenir de la personne. Il donne juste une information objective et circonstanciée… Chacun reste libre de réagir à la situation comme il l’entend, tous les futurs sont possibles, mais à moins d’un coup du sort, ce qui arrivera dépendra des choix effectués. » J’ajouterais aux choix effectués leurs intentions ou motivations qui les sous-tendent.
Le Yi Jing nous éclaire sur les tenants et aboutissants d’une situation, et nous propose une stratégie, un comportement qui permet de respecter la voie du milieu, celle qui équilibre les contraintes de la Terre et les désirs du Ciel.
Prenons un exemple : sous quel climat se présente la période d’environ 12 ans marquée par la conjonction Jupiter/Neptune d’avril 2022 :
- Hex 36 : Lumière obscurcie, présage de difficultés profitables – situation d’étouffement, d’oppression pénible et subie (tyrannie) dont il faut se protéger de manière intelligente et endurante afin que les talents et capacités propres ne soient pas annihilés. La tyrannie subie est d’autant plus cruelle qu’on est confronté à cette oppression à son corps défendant. Il va falloir puiser de manière inhabituelle dans ses ressources propres. S’accommoder de cette situation sans chercher à rien imposer. S’y adapter par une force intérieure et une capacité de résistance exceptionnelles. Voiler sa propre lumière pour la préserver. Profil bas, prudence, modération, introspection.
- Trait 2 – Oiseau blessé : lorsque aucune clarté ne préside plus aux décisions du souverain, les places en contact étroit avec le pouvoir sont celles où l’on court le plus de risques. Dans ce trait, il est question de blessures provoquant une immobilisation. Dans une telle situation, au lieu de se révolter contre l’ordre hiérarchique, il faut mettre à profit l’adversité pour réaliser sa propre œuvre. L’hexagramme dérivé est 11-Prospérité, moment où celle-ci naît de la communication entre le haut et le bas, entre l’intérieur et l’extérieur.
Notre vie est donc une recherche perpétuelle d’équilibre, de voie du juste milieu, dans un monde en changement constant : équilibre Yin/Yang, équilibre Ciel/Terre, équilibre adaptation au monde/respect de soi et de son intégrité.
Pour aller plus loin dans la découverte et la compréhension de la pensée chinoise :
Le discours de la tortue – Cyrille Javary
Yin Yang, la dynamique du monde – Cyrille Javary
https://www.cyrillejavary.com/